Oct 29, 2025

Témoignages antisémitisme : les Juifs et l'argent

Lors d'un entretien d'embauche où on m'a demandé mes prétentions salariales, la patronne qui m’interrogeait a dit : “Vous les juifs, vous aimez l'argent.” J'étais sous le choc. Étudiante à l’université, je devais réaliser un travail avec un binôme. Dans le cadre de ce travail, on allait acheter un livre chacun (30€ par livre). Il m'a dit que c'était la fin du mois donc que ça serait compliqué pour lui. Je lui ai expliqué que j'économisais pour acheter une voiture, donc que je pouvais lui avancer l’argent. Il m'a répondu qu'effectivement, les Juifs ont beaucoup d'argent. Au début, j’ai pensé qu'il rigolait. Je suis doctorante en thèse et j’ai obtenu des financements de l’université. Tous les doctorants ont la même somme, c’est un droit partagé. Pourtant, un de mes collègues a raconté que "j'en avais profité pour m'en mettre plein les fouilles" et il véhicule des idées vraiment stéréotypées autour du fait que "j'aime l'argent", "que je profite des contrats de l'université pour m'enrichir", alors que tous les doctorants ont exactement le même salaire et les mêmes aides. J'ai été convoquée par ma direction de thèse et par l'école doctorale, j'ai dû expliquer que je ne "détournais" pas l'argent de ma cotutelle en fournissant un compte rendu détaillé de l'utilisation des aides en remontant les 6 derniers mois. Aucun autre doctorant n'avait jamais eu à justifier de ses dépenses. A la suite de cet événement, on m'a fait comprendre qu'il s'agissait d'un bruit qui courait dans tous les laboratoires de mon université et qu'il pourrait y avoir un lien avec ma religion. Mes collègues savent que je suis juive, car quelqu’un le leur a dit par accident. Celui qui faisait courir des bruits à mon propos n'a pas été inquiété, mais on m'a demandé "d'en dire moins sur moi pour m'éviter ce genre de désagrément à l'avenir.” D’où viennent les stéréotypes associant les Juifs à l’argent ? Ils s’enracinent dans une histoire longue, marquée par des rapports de domination et d’exclusion. À partir du Moyen Âge (vers le 12ᵉ siècle), l’Église interdit aux chrétiens certaines pratiques liées à l’argent, comme le prêt à intérêt, considéré alors comme immoral. Or, ce type d’activité reste pourtant indispensable à la vie économique. Les Juifs, exclus de nombreux métiers (notamment  l’agriculture, les corporations artisanales ou la fonction publique), sont souvent cantonnés à ces professions "tolérées mais méprisées", comme le commerce ou le prêt d’argent. Ce processus crée une double marginalisation : d’un côté, les Juifs sont relégués dans des secteurs considérés comme moralement ambigus ; de l’autre, ils sont stigmatisés pour y exercer une influence que la société leur a elle-même imposée. Avec l’arrivée du capitalisme moderne, surtout à partir du 19ᵉ siècle, cette image évolue : le Juif est alors souvent caricaturé en banquier tout-puissant, symbole d’un pouvoir financier abstrait. Il devient une figure repoussoir, accusé de tirer les ficelles du système économique et politique. Le philosophe Moishe Postone explique que l’antisémitisme moderne ne se limite pas à un simple préjugé : il fonctionne comme une critique déformée du capitalisme. Plutôt que de penser les rapports de pouvoir et d’exploitation de manière systémique et concrète, une partie de la critique anticapitaliste projette ses colères sur une figure mythifiée : celle du “Juif” tout-puissant, identifié au capital, à la finance, voire à un “complot mondial”. Ce glissement est toujours actif aujourd’hui. Dans certaines visions “anti-système”, des formes de complotisme recyclent ces vieux clichés antisémites en prétendant “dénoncer les élites”, tout en invisibilisant les véritables dynamiques sociales, économiques et politiques. C’est un anticapitalisme tronqué[1], qui remplace l’analyse par la personnification et qui peut dériver dangereusement vers des logiques d’exclusion. Pourquoi c’est dangereux ? Car ces stéréotypes ont des effets dans le réel. Des remarques et blagues à première vue ‘inoffensives’ peuvent mener, à l’autre bout du continuum de la haine, à des meurtres antisémites comme celui d’Ilan Halimi en France en 2006, séquestré et torturé au prétexte qu’en tant que Juif, il aurait de l’argent, et que de ce fait ses séquestreurs obtiendraient une rançon. [1] Jonas Pardo et Samuel Delor.

Lors d'un entretien d'embauche où on m'a demandé mes prétentions salariales, la patronne qui m’interrogeait a dit : “Vous les juifs, vous aimez l'argent.” J'étais sous le choc. Étudiante à l’université, je devais réaliser un travail avec un binôme. Dans le cadre de ce travail, on allait acheter un livre chacun (30€ par livre). Il m'a dit que c'était la fin du mois donc que ça serait compliqué pour lui. Je lui ai expliqué que j'économisais pour acheter une voiture, donc que je pouvais lui avancer l’argent. Il m'a répondu qu'effectivement, les Juifs ont beaucoup d'argent. Au début, j’ai pensé qu'il rigolait. Je suis doctorante en thèse et j’ai obtenu des financements de l’université. Tous les doctorants ont la même somme, c’est un droit partagé. Pourtant, un de mes collègues a raconté que "j'en avais profité pour m'en mettre plein les fouilles" et il véhicule des idées vraiment stéréotypées autour du fait que "j'aime l'argent", "que je profite des contrats de l'université pour m'enrichir", alors que tous les doctorants ont exactement le même salaire et les mêmes aides. J'ai été convoquée par ma direction de thèse et par l'école doctorale, j'ai dû expliquer que je ne "détournais" pas l'argent de ma cotutelle en fournissant un compte rendu détaillé de l'utilisation des aides en remontant les 6 derniers mois. Aucun autre doctorant n'avait jamais eu à justifier de ses dépenses. A la suite de cet événement, on m'a fait comprendre qu'il s'agissait d'un bruit qui courait dans tous les laboratoires de mon université et qu'il pourrait y avoir un lien avec ma religion. Mes collègues savent que je suis juive, car quelqu’un le leur a dit par accident. Celui qui faisait courir des bruits à mon propos n'a pas été inquiété, mais on m'a demandé "d'en dire moins sur moi pour m'éviter ce genre de désagrément à l'avenir.” D’où viennent les stéréotypes associant les Juifs à l’argent ? Ils s’enracinent dans une histoire longue, marquée par des rapports de domination et d’exclusion. À partir du Moyen Âge (vers le 12ᵉ siècle), l’Église interdit aux chrétiens certaines pratiques liées à l’argent, comme le prêt à intérêt, considéré alors comme immoral. Or, ce type d’activité reste pourtant indispensable à la vie économique. Les Juifs, exclus de nombreux métiers (notamment  l’agriculture, les corporations artisanales ou la fonction publique), sont souvent cantonnés à ces professions "tolérées mais méprisées", comme le commerce ou le prêt d’argent. Ce processus crée une double marginalisation : d’un côté, les Juifs sont relégués dans des secteurs considérés comme moralement ambigus ; de l’autre, ils sont stigmatisés pour y exercer une influence que la société leur a elle-même imposée. Avec l’arrivée du capitalisme moderne, surtout à partir du 19ᵉ siècle, cette image évolue : le Juif est alors souvent caricaturé en banquier tout-puissant, symbole d’un pouvoir financier abstrait. Il devient une figure repoussoir, accusé de tirer les ficelles du système économique et politique. Le philosophe Moishe Postone explique que l’antisémitisme moderne ne se limite pas à un simple préjugé : il fonctionne comme une critique déformée du capitalisme. Plutôt que de penser les rapports de pouvoir et d’exploitation de manière systémique et concrète, une partie de la critique anticapitaliste projette ses colères sur une figure mythifiée : celle du “Juif” tout-puissant, identifié au capital, à la finance, voire à un “complot mondial”. Ce glissement est toujours actif aujourd’hui. Dans certaines visions “anti-système”, des formes de complotisme recyclent ces vieux clichés antisémites en prétendant “dénoncer les élites”, tout en invisibilisant les véritables dynamiques sociales, économiques et politiques. C’est un anticapitalisme tronqué[1], qui remplace l’analyse par la personnification et qui peut dériver dangereusement vers des logiques d’exclusion. Pourquoi c’est dangereux ? Car ces stéréotypes ont des effets dans le réel. Des remarques et blagues à première vue ‘inoffensives’ peuvent mener, à l’autre bout du continuum de la haine, à des meurtres antisémites comme celui d’Ilan Halimi en France en 2006, séquestré et torturé au prétexte qu’en tant que Juif, il aurait de l’argent, et que de ce fait ses séquestreurs obtiendraient une rançon. [1] Jonas Pardo et Samuel Delor.

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